Mines : Barrick s’africanise avec Randgold

Premier producteur mondial d’or, le canadien veut s’allier avec le groupe de Mark Bristow pour se renforcer sur le continent et améliorer son efficacité opérationnelle.

L’affaire a été préparée dans le plus grand secret. Le 24 septembre, le géant canadien Barrick – numéro un mondial de l’or en 2017 – a annoncé des négociations en vue d’une fusion avec l’« africain » Randgold – premier producteur d’Afrique francophone et deuxième sur le continent. Le nouvel ensemble serait valorisé à hauteur de 18 milliards de dollars, dont les deux tiers apportés par Barrick.

Contacté par Jeune Afrique, un avocat impliqué dans le dossier évoque des discussions entamées voilà deux ans mais devenues sérieuses au cours des trois derniers mois. « Cette opération donne un double signal, estime Christian Mion, associé d’EY chargé du secteur minier.

D’abord, les opérations de consolidation de ce genre vont se multiplier, car certains groupes ont besoin de se restructurer quand d’autres ont de l’argent. Mais, surtout, l’Afrique revient au cœur des préoccupations des groupes extractifs, et plus particulièrement dans l’or. »

En 2017, les deux géants ont produit plus de 6,6 millions d’onces

Sur le continent, tous les acteurs du secteur connaissent – et souvent envient – Randgold, fondé en 1995 et qui a produit l’an dernier 1,315 million d’onces d’or. Cette réussite est avant tout celle de son fondateur, le bouillonnant Sud-Africain Mark Bristow, ingénieur géologue, qui dès l’origine a misé sur l’Afrique de l’Ouest, d’abord au Mali puis en Côte d’Ivoire. Présente également en RD Congo et au Sénégal, la compagnie reste à l’affût de nouveaux permis d’exploration.

LE GROUPE N’A PAS SON PAREIL POUR TRANSFORMER UN GISEMENT EN MINE

« Randgold achète des gisements à un stade d’exploration avancé, quand il est sûr du niveau des réserves, ce qui limite les risques de déconvenues. Mais c’est lui qui installe l’outil extractif et industriel. Le groupe n’a pas son pareil pour transformer un gisement en mine, c’est là qu’il crée le plus de valeur, et il n’a pas peur de le faire dans des pays dont le contexte est réputé délicat », fait observer l’analyste Magnus Ericsson.

L’histoire africaine de Barrick est, elle, plus compliquée. Piloté depuis 2014 par l’Américain John Thornton, ex-banquier de Goldman Sachs, le groupe canadien tire 75 % de sa production (5,3 millions d’onces en 2017) du continent américain. Et ses aventures sur le continent – modestes par rapport au reste de ses activités – sont à ce jour mal embarquées. À travers sa filiale Acacia, dont il détient 64 %, il est implanté en Tanzanie. Engagé depuis deux ans dans un bras de fer avec Dar es-Salaam, qui bloque une partie de ses exportations et lui a infligé pas moins de 190 milliards de dollars (159 milliards d’euros) de redressement fiscal, la production de sa mine (environ 400 000 onces) a fondu presque de moitié.

Appliquer le modèle Randgold à Barrick

Cette dispute tire son origine des nombreuses promesses non tenues de Barrick – initialement titulaire des mines –, concernant notamment les bénéfices sociaux accordés aux Tanzaniens ou encore sa participation à des projets énergétiques et à la montée en puissance de l’industrie locale de transformation du minerai. La création d’Acacia Mining, sous la forme d’un spin-off, traduisait l’intention de la direction générale de Barrick de sortir du continent, en tentant de trouver d’autres partenaires prêts à prendre le relais. Sans succès jusqu’à présent.

>>> À lire – Mines : Randgold à l’affût de gisements à prix cassés

En dehors de la Tanzanie, la seule autre activité africaine du géant de Toronto est sa mine zambienne de Lumwana – 128 000 tonnes de cuivre extraites en 2017 –, dans une filière cuprifère qui n’est clairement pas la priorité du géant canadien, plus que jamais porté sur l’or.

Si la fusion, promue par les deux conseils d’administration, est approuvée par les actionnaires des deux groupes, et par les autorités réglementaires américaine et canadienne, les mines de Randgold continueront à être exploitées selon leur modèle actuel, tout comme sera poursuivi le projet de Massawa, au Sénégal. « Il s’agit d’appliquer le modèle Randgold à Barrick, pas l’inverse », a précisé Mark Bristow.

Ce mariage pourrait débloquer la situation d’Acacia en Tanzanie

Analysant sa propre réussite, le Sud-Africain avait livré début 2018 quelques clés d’explication lors d’un entretien donné à JA. « Nous n’avons pas investi dans des mines qui ont perdu de l’argent ; et nous n’avons jamais cessé d’explorer le sous-sol africain, ni de regarder les occasions d’acquisition de gisement », faisait-il valoir.

Une critique, en creux, de ce qu’ont fait des géants… comme Barrick, connu pour ses investissements tous azimuts et guère inspirés ces dernières années. L’encadrement très africain de Randgold – avec nombre de dirigeants maliens, congolais, ghanéens et sud-africains – devrait même être en mesure de piloter la totalité des activités Afrique du nouvel ensemble.

MAIS TOUS LES OBSERVATEURS NE SONT PAS AUSSI ENTHOUSIASTES

Concernant la Tanzanie, l’arrivée de Randgold pourrait permettre de débloquer la situation. « Mark Bristow et ses équipes ont l’habitude des situations politiques tendues et, surtout, ont de bien meilleures pratiques que Barrick en matière de responsabilité sociale et environnementale. Cela pourrait adoucir les autorités tanzaniennes et débloquer la situation s’ils reprennent les rênes du projet », confie l’avocat interrogé par JA.

>>> À lire – Randgold redresse la barre en fin d’année

Mais tous les observateurs ne sont pas aussi enthousiastes, estimant ce rapprochement peu favorable à Barrick. « Ce que Mark Bristow a réussi avec brio sur le continent, avec une équipe de direction réduite, en mettant les mains dans le cambouis, n’est pas transposable au sein d’un groupe gigantesque. Et l’Amérique latine n’est pas l’Afrique. Pour y réussir, Bristow devra être plus diplomate que ces derniers mois au cours desquels il s’est durement heurté aux autorités, notamment en RD Congo, sur l’évolution du code minier », fait valoir une source qui connaît très bien les deux compagnies.

L’or reste une valeur refuge

S’échangeant autour de 1 200 dollars l’once fin septembre 2018 – un cours en baisse de 8,42 % depuis le début de l’année –, l’or a connu des jours meilleurs, en 2017, mais aussi bien pires, entre 2014 et 2016. La reprise des tensions commerciales mondiales, notamment entre la Chine et les États-Unis, laisse les analystes plus optimistes sur ses perspectives en 2019.

« Le prix de l’or va continuer à être davantage influencé par la spéculation et par son statut de valeur refuge que par le jeu de l’offre et de la demande, estime Anton Löf, spécialiste du marché. Nous prévoyons une hausse modérée des cours, car les investisseurs chinois et indiens devraient continuer de parier sur le minerai précieux – et ce, même si la production progresse légèrement (+ 2.2 % au premier semestre). »

Jeune Afrique

03 octobre 2018 à 11h13 | Par Christophe Le Bec

read more